Fabrice Luchini au Théùtre des Mathurins, Christophe HonorĂ© Ă lâOdĂ©on, le dernier spectacle dâAriane Mnouchkine, GrĂ©gori Baquet seul en scĂšne⊠TĂȘtes dâaffiche et jeunes pousses se bousculent ce mois-ci sur les scĂšnes parisiennes. Notre sĂ©lection critique pour ne rien en manquer. r âTout ça pour lâamour !â Entrer dans une salle sans rien attendre de prĂ©cis, en ressortir le cĆur en joie, câest lâexpĂ©rience vĂ©cue face Ă cet Ă©tonnant spectacle que porte, avec une ardeur, une cohĂ©rence et un talent remarquables, Edwige Baily. Lâactrice excelle, quel que soit le registre adoptĂ© comique, dramatique, rĂ©aliste, fantastique. On la croit dĂ©volue au stand-up quand la voici soudain qui bascule dans un plaidoyer enflammĂ© pour la littĂ©rature. Jamais figĂ©e et toujours en mouvement, elle est deux hĂ©roĂŻnes en une. La premiĂšre rejoue le destin de Gabrielle Russier. CondamnĂ©e pour avoir aimĂ© un de ses Ă©lĂšves, cette professeure de français se suicide en 1969. La seconde venge la premiĂšre en nous rappelant au pas de charge lâhistoire dâAntigone, figure universelle de la rĂ©sistance fĂ©minine. La reprĂ©sentation est une dĂ©ferlante dâhumour, dâintelligence, de verbe portĂ© haut, de vie. Le cĆur exulte. Câest Ă©patant. Jusquâau 24 avril, Théùtre Montparnasse, 31, rue de la GaĂźtĂ©, Paris 14e. t2 âChers parentsâ âChers parentsâ, dâArmelle et Emmanuel Patron, un spectacle, malin, fin, intelligent et vif. Christophe Lebedinsky Deux frĂšres et leur sĆur traversent la France pied au plancher pour rejoindre leurs parents, qui les ont sommĂ©s de venir les voir sur-le-champ. La progĂ©niture, inquiĂšte, se prĂ©pare au pire. Et tombe Ă la renverse lorsquâelle comprend ce qui se passe les parents, Ă la retraite, partent ouvrir un orphelinat au Vietnam. Pourquoi ? Comment ? Nâallons pas plus loin dans les dĂ©tails de cette farce jubilatoire qui dĂ©mantĂšle le lien familial sans sâencombrer de tabous inutiles. Dâune maniĂšre ou dâune autre, chaque spectateur se reconnaĂźtra dans les coups de griffes que sâĂ©changent les personnages. Ce spectacle, malin, fin, intelligent et vif, Ă©crit Ă quatre mains par Armelle et Emmanuel Patron ils sont frĂšre et sĆur, convoque sur scĂšne cinq comĂ©diens dont le plaisir est communicatif. Pas un dialogue ne sonne faux. Pas un clichĂ© qui ne vole en Ă©clats. La derniĂšre scĂšne est savoureuse. Un pur rĂ©gal. Jusquâau jeudi 30 avril, Théùtre de Paris, 15, rue Blanche, Paris 9e. q âAvant la retraiteâ Ă la fin du XIXe siĂšcle, lâantisĂ©mitisme paradait sans complexe dans les salons mondains français. Ici, un nazisme tenace se cache dans un appartement autrichien dâaprĂšs-guerre. Les monstres, polymorphes, rĂ©sistent au temps qui passe. Ă la Porte-Saint-Martin, celle qui sâoppose Ă lâabjection est rĂ©duite au silence, clouĂ©e, en fauteuil roulant, condamnĂ©e Ă subir les Ă©ructations de sa sĆur et de son frĂšre, lesquels cĂ©lĂšbrent lâanniversaire de la naissance de Himmler. NoĂ©mie Lvovsky se tait. MĂȘme mutique, elle impose sa rage intĂ©rieure. Catherine Hiegel et AndrĂ© Marcon se dĂ©chaĂźnent dans un flot furieux de paroles et montent en puissance jusquâau paroxysme. Comme un bulldozer lancĂ© Ă pleine vitesse, le spectacle malmĂšne la paresse de nos vigilances. Il le faut. Car ceux qui dirigent aujourdâhui le monde sâappellent Bolsonaro, Poutine and Co. Plus dâun demi-siĂšcle plus tard, rien nâa changĂ©. Le théùtre nous le rappelle vertement. Jusquâau 2 avril, Théùtre de la Porte-Saint-Martin, 18, boulevard Saint-Martin, Paris 10e. q âLa Fontaine et le confinementâ Fabrice Luchini rend hommage Ă ceux qui lui ont permis de rĂ©sister Ă lâenfermement et Ă la solitude du confinement. Photo RAYNAUDDELAGE Trente-cinq ans quâon aime Ă le retrouver, psalmodiant de spectacle en spectacle les phrases miracles de grands auteurs. Son secret ? Fabrice Luchini aborde poĂštes et philosophes pour la beautĂ© sensuelle de leur langue et lâĂ©lĂ©gance de leur pensĂ©e, avec lâĂ©merveillement du garçon coiffeur quâil fut. Pour le public, il dĂ©guste et savoure les mots de ces Ă©crivains tel un ogre, les mĂąche et les articule entre violence et ravissement. Et ses mille digressions personnelles, politiques, sociĂ©tales, toujours drĂŽles et partageuses, font mieux pĂ©nĂ©trer encore dans les sophistications de nâimporte quel langage. Luchini veut rendre ici hommage Ă ceux qui lui ont permis de rĂ©sister Ă lâenfermement et Ă la solitude du confinement. Tels Blaise Pascal, La Fontaine, Baudelaire, qui lui ont donnĂ© la force de transcender les grands vides. Le confinement lâa ainsi bonifiĂ©. Il nâĂ©ructe plus quand tempĂȘte dans la salle un bruyant portable, il pardonne. Il avoue mĂȘme dĂ©sormais avoir le cĆur plus Ă gauche. Le diabolique acteur nâa pas fini de nous Ă©poustoufler. Jusquâau 28 avril, Théùtre des Mathurins, 36, rue des Mathurins, Paris 8e. q âLe Kâ GrĂ©gori Baquet est un acteur surprenant qui sait prendre son temps pour franchir, minute aprĂšs minute, les marches vers lâexcellence. Les premiers instants du spectacle oĂč, seul sur scĂšne, il interprĂšte des nouvelles de Dino Buzzati sâaccomplissent sur un mode mineur. Mais, Ă mesure que lâauteur nous entraĂźne dans la forĂȘt profonde de lâĂ©trangetĂ©, de lâabsurde ou de lâirrationnel, le comĂ©dien grimpe en intensitĂ© et dĂ©voile des profondeurs de jeu Ă©tonnantes. Ă tel point que, dâune nouvelle Ă lâautre, il ne se ressemble pas. Son visage est un paysage qui fluctue au grĂ© des rĂ©cits. AncrĂ© dans le rĂ©el mais aussi aĂ©rien, il a une grĂące animale et fait corps avec son unique partenaire une sculpture gĂ©ante de la lettre K quâil renverse en tous sens. On voit rarement au théùtre le pas-Ă -pas dâun comĂ©dien qui, entrant en lui-mĂȘme, pĂ©nĂštre dans la chair mĂȘme des fictions. Allez-y, câest cadeau. Jusquâau 6 avril, Théùtre de lâĆuvre, 55, rue de Clichy, Paris 9e. q âLâĂle dâorâ âLâĂle dâorâ, dâAriane Mnouchkine, est une invitation Ă entrer dans la chambre de lâimagination de lâartiste. Photo Michele Laurent Il y a de tout et de trop dans cette reprĂ©sentation, dont la somptueuse vitalitĂ© est communicative. Le spectacle dâAriane Mnouchkine est une invitation Ă entrer dâun pas ailĂ© dans la chambre de lâimagination de lâartiste, laquelle dĂ©pose, sur le plateau, le monde qui lâhabite. Ce monde est un flux dâimages, de souvenirs, de dĂ©sirs. Sur scĂšne, une metteuse en scĂšne alitĂ©e appelle le théùtre, le Japon, lâamour, lâhumour, et la vie telle quâelle pourrait ĂȘtre. Cette femme, double fictif de la patronne du Soleil, est un arc tendu de dĂ©lires, de fantasmes, de cauchemars, de joies et de combats. Elle imagine une Ăźle oĂč il serait possible dâĂȘtre heureux parce que lâart y aurait eu le dernier mot. Elle le fait avec une ardeur contagieuse. Qui, Ă part Ariane Mnouchkine, est capable de cĂ©lĂ©brer lâimaginaire avec ce sens fulgurant de lâimage, ce faste du mouvement, cette beautĂ© de la mĂ©taphore qui prend corps ? Parce que lâartiste rĂȘve en grand, elle nous intime de faire de mĂȘme. Jusquâau 30 avril, Cartoucherie - Théùtre du Soleil, route du Champ-de-ManĆuvre, Paris 12e. q âBĂȘte noireâ JĂ©sus Badin est mort assassinĂ© un 14 juillet. Son corps cachĂ© dans le purin est dĂ©terrĂ© Ă mains nues par sa mĂšre. Pourquoi, comment et par qui a-t-il Ă©tĂ© tuĂ© ? De plus en plus prenant Ă mesure que sâĂ©coulent les minutes, ce texte de Sarah Blamont, inspirĂ© dâun fait divers, est une enquĂȘte qui procĂšde par cercles concentriques jusquâĂ resserrer la focale sur le meurtrier, bras armĂ© dâun destin scellĂ© dâemblĂ©e par la haine atavique du village pour lâĂ©tranger, lâautre, le diffĂ©rent. Seul en scĂšne, lâacteur JĂ©rĂŽme Fauvel se dĂ©pouille mĂ©thodiquement des identitĂ©s quâil emprunte pour expliquer lâinexplicable. Il est la mĂšre endeuillĂ©e, le boucher du village, le maire, la fille du bal, les jeunes de la fĂȘte et, enfin, lâassassin. Il bascule, ce faisant, de rĂŽles de composition vers un jeu net, sans fioritures, comme sâil ĂŽtait une Ă une des pelures dâoignon. Moins il joue et meilleur il est. Ce talent-lĂ nâest pas donnĂ© Ă tout le monde. Jusquâau 31 mars, Théùtre de Belleville, 94, rue du Faubourg-du-Temple, Paris 11e. q âLe Tartuffe ou lâHypocriteâ Julien Frison, Denis PodalydĂšs et Christophe Montenez dans un âTartuffe ou l'Hypocriteâ formidablement jouĂ©, Ă la ComĂ©die-Française. Photo Jan Versweyveld Rien Ă faire. MĂȘme rĂ©duite de deux actes dans cette version inĂ©dite Ă©tablie par le professeur de littĂ©rature Georges Forestier, la piĂšce de MoliĂšre plonge public et personnages dans lâattente de Tartuffe, lequel se fait dĂ©sirer, mais sait ne pas dĂ©cevoir lorsque enfin il sâimmisce dans la famille dâOrgon. Avec la beautĂ© dâun diable et la violence dâun pervers narcissique, il sĂ©duit en terrorisant et inquiĂšte en apaisant. Le spectacle, formidablement jouĂ©, dâune noirceur assumĂ©e, laisse le rire en coulisses et, par des moyens volontairement outranciers lumiĂšres, musique, frappe de grands coups de semonce qui interdisent de rĂȘvasser. Façon de dire quâil ne faut jamais baisser la garde lorsque menace le danger. Car Tartuffe est pĂšre de tous les pĂ©rils politique, psychologique, social. Ce spectacle dâune pertinence absolue est une mise en demeure nĂ©cessaire. Lâheure est grave. Les Tartuffe sont Ă nos portes et plus personne nâest lĂ pour nous en protĂ©ger. Jusquâau 24 avril, ComĂ©die-Française, 2, rue de Richelieu, Paris 1er. q âLes Petits Pouvoirsâ Le plateau sâoffre en CinĂ©maScope. ScĂšne ouverte sur un patchwork de lieux bureau, cuisine, Ăźle japonaise ou bains fumants qui accueillent une histoire mouvante et liquide dont les fils se mĂȘlent, au risque de nous Ă©garer. Mais le propos est audacieusement insolite, donc intrigant. La jeune recrue dâun cabinet dâarchitectes fait lâexpĂ©rience de la manipulation, des trahisons, des compromis, des rivalitĂ©s et de ces petits pouvoirs quâexercent entre eux les acteurs dâune microsociĂ©tĂ©. Ă coups de fumigĂšnes et dâhĂ©moglobine inondant le sol, le spectacle dĂ©rive vers une dĂ©rĂ©alisation des normes et du vraisemblable. On balance entre cauchemar, cĂ©rĂ©monial Ă©sotĂ©rique et science-fiction. Un thon gĂ©ant frappe lâair de sa queue, un homme est dĂ©coupĂ© en tranches, il y a des morts, des retours en arriĂšre, des identitĂ©s de femmes qui se confondent. On sây perd pas mal mais on ne sâabsente jamais. Quelque chose se passe sous nos yeux et ça, câest une certitude. Jusquâau 20 mars, Théùtre ouvert, 159, avenue Gambetta, Paris 20e. q âLe Ciel de Nantesâ Dans âLe Ciel de Nantesâ, Christophe HonorĂ© ressuscite ses morts, les grands-parents, leurs dix enfants, et lui, lĂ©gataire dâune gĂ©nĂ©alogie chaotique. Photo Jean Louis Fernandez Une salle de cinĂ©ma vintage avec ses siĂšges dĂ©fraĂźchis regarde le public. Nous sommes lâĂ©cran sur lequel bute lâhistoire dâune famille qui pourrait ĂȘtre la nĂŽtre. Christophe HonorĂ© ressuscite ses morts. Les grands-parents, leurs dix enfants, et lui, lĂ©gataire dâune gĂ©nĂ©alogie chaotique. Les acteurs convoquent les spectres par leurs mots, leurs chansons de variĂ©tĂ©, leurs engueulades, leurs soirs de fĂȘte, lâentaille laissĂ©e par les dĂ©pressifs, les droguĂ©s et les suicidĂ©s. Le metteur en scĂšne qui nâa pas su filmer ses aĂźnĂ©s tente leurs portraits au théùtre dans un prĂ©cipitĂ© de sĂ©quences quâil jette lĂ , comme on se dĂ©barrasse dâun poids trop lourd, sans trop trier lâutile et le superflu. Ăa pourrait nâĂȘtre que narcissique, câest plus une immersion dans un monde ouvrier et populaire dont la violence est rĂ©elle mais la douceur aussi. On a rarement vu au théùtre autant de hĂ©ros qui sâenlacent. Pour se rĂ©parer, il faut savoir sâaimer. Jusquâau 3 avril, OdĂ©on-Théùtre de lâEurope, 1, place de lâOdĂ©on, Paris 6e. théùtre Partager Contribuer
JackLang, Patrice ChĂ©reau et Roger Planchon : les nominations au théùtre en 1972. Dans les archives de « lâObs ». Jack Lang « sera tĂŽt ou tard ministre de la Culture », estimait en 1972 « le Nouvel Obs », Ă propos des nominations Ă Chaillot et Ă Lyon-Villeurbanne. Théùtre - PubliĂ© le 27 mars 2022 Ă 19:30.